L’évolution de la Cour suprême
Afin de comprendre l’essence-même du Canada, il est absolument essentiel de comprendre le système judiciaire ainsi que son évolution depuis la confédération. Il serait suffisant d’aborder les cours de dernière instance du Canada. Plusieurs lecteurs seront surpris par le fait que la Cour suprême du Canada n’était qu’une « cour d’appel intermédiaire » jusqu’en 1949.
Pour commencer, dès la Conquête britannique du Canada de 1763, le tribunal de dernière instance était intitulé le « comité d’appel du conseil privé de Londres ». Ce comité était formé de personnes qui souvent n’avaient aucune formation en droit mais qui avisaient le roi en matière juridique. En 1833, le Parlement britannique crée le Comité judiciaire du Conseil privé. Le but de ce comité était de servir comme tribunal final et exclusif pour tout l’Empire britannique. Les juges du comité s’exprimaient toujours unanimement dans leurs arrêts et ils donnaient leur avis au Roi qui par la suite, avec son conseil, affirmait les jugements du comité. En 1844, le Parlement britannique a déclaré que toute loi « coloniale » qui désavouait le droit de faire appel au Comité judiciaire n’était d’aucune force.
En ce qui concerne la nature du Comité judiciaire du Conseil privé, il était composé de juges qui venaient de toutes les juridictions et de tous les coins de l’Empire britannique. En vérité, à chaque séance, le Comité avait des juges différents mais certains juges y siégeaient pendant des décennies. Le comité était composé de cinq juges, un nombre qui n’était pas fixe car à certaines occasions, il y avait sept juges. Le Comité rendait des décisions dans trois ou quatre affaires liées au droit canadien par année, soit 667 appels d’origine canadienne de 1867 à 1949.
En ce qui a trait à la Cour suprême, l’histoire de la Cour suprême du Canada commence en 1875 lorsque le Parlement canadien a créé la Cour en stipulant dans l’article 47 de la Loi sur la Cour suprême « le jugement de la Cour suprême sera, dans tous les cas, final et conclusif ». Cependant, la Cour suprême n’était ni le tribunal exclusif, ni final, ni conclusif du Canada à ce moment. Les particuliers pouvaient faire appel directement d’une cour provinciale au Comité judiciaire du Conseil privé sans même avoir l’obligation de se présenter à la Cour suprême.
Par la suite, en 1880, le Parlement canadien a adopté une loi qui avait déterminé que tout arrêt dans une affaire reliée à l’insolvabilité issue par une cour d’appel canadienne était final et que les appels au Conseil privé étaient interdits sauf si la Reine et son conseil avaient donné une permission spéciale qui certifiait l’appel. Dans l’affaire Cushing c. Dupuy de 1880, le Comité judiciaire a déclaré que ladite loi était valide. Malgré l’affaire Cushing, la loi canadienne reliée à l’insolvabilité a été désavouée en 1926, dans l’arrêt du Comité lors de l’affaire Nadan c. Le Roi.
Élaborant sur l’évolution judiciaire du Canada, l’autonomie du Canada a reçu un support énorme avec la ratification du Statut de Westminster de 1931. Ce statut à reconnu l’égalité des lois « coloniales » aux lois « impériales ». Le Statut de Westminster a annulé la Loi sur la validité des lois coloniales de 1865. Cette dernière stipulait « Une loi coloniale sera vue comme nulle et sera nulle si cette loi est répugnante aux lois adoptées par le Parlement Britannique ». Le Statut de Westminster a éviscéré la Loi sur la validité des lois coloniales en déclarant « La Loi sur la validité des lois coloniales de 1865 ne sera pas applicable à une loi, de n’importe quel type, adoptée par un parlement d’un dominion après le commencement de ce statut ».
Malgré le Statut de Westminster de 1931, le Comité judiciaire du Conseil privé sera le tribunal final pour toute cause civile ou criminelle jusqu’en 1933 lorsque le Parlement fédéral a adopté une loi amendant le Code Criminel. Cette nouvelle loi prohibait tout appel au Comité judiciaire du Conseil privé pour les causes criminelles. Ladite loi a été contestée lors de l’affaire British Coal Corp. c. Le Roi de 1935. Le Conseil privé a prononcé la loi comme étant intra vires de l’autorité législative du Parlement canadien. Le savant juge, le vicomte Sankey, a dit « Il n’y aucune raison valable qui peut être trouvée, avec le statut, pour laquelle le pouvoir de réguler ou de prohiber ce type d’appel ne devrait pas être accordé au parlement du dominion ».
En revanche, le parlement canadien, en 1939 a adopté une loi qui amendait la Loi sur la Cour suprême de 1875. La loi de 1939, dans l’article 54, stipulait « La Cour suprême aura la possession de l’exercice exclusif et ultime du pouvoir d’appel en matière criminelle et civile au-dedans du Canada et le jugement de la cour sera, dans tous les cas, final et conclusif ». Le Comité judiciaire, dans l’affaire le procureur-général de l’Ontario c. le procureur-général du Canada de 1947 a affirmé que la loi était intra vires et que « la régulation des appels est le premier élément de la souveraineté canadienne ». Le Conseil privé a conclu son arrêt en exprimant « C’est un fait que le premier élément de l’autonomie gouvernementale du dominion est qu’il devra être capable d’assurer, à l’aide de ses propres cours de justice, que les lois doivent être les mêmes pour tous ses citoyens ».
En conséquence de l’arrêt dans l’affaire le procureur-général de l’Ontario c. le procureur-général du Canada, le Parlement fédéral, en 1949, a adopté une loi amendant la Loi sur la Cour suprême de 1875 ce qui a fait de la Cour suprême, une Cour de dernière instance, la Cour finale, conclusive et exclusive du plus haut niveau au Canada. Après 1949, les appels au Comité judiciaire du Conseil privé de Londres ont été abolis.
Finalement, on devra réfléchir sur le fait que la Cour suprême du Canada, malgré une existence de 146 ans, a servi comme la Cour de dernière instance pour seulement 72 années. Dans les années 1950, la Cour suprême a produit des arrêts qui ont commencé à adresser les lacunes dans le droit canadien. Le Comité privé a été vu de façon positive par plusieurs au Canada et de façon négative également. Les commentaires positifs que font les intellectuels sur le Comité judiciaire soulignent la décentralisation et l’autonomie provinciale que ce Comité attribuait à la Constitution canadienne. Les commentaires négatifs proviennent des intellectuels qui critiquent le Comité pour ne pas avoir interprété la Constitution canadienne de manière à renforcer le pouvoir du Parlement fédéral. En revanche, l’opinion des juristes canadiens sur le sujet du Comité judiciaire du Conseil privé de Londres est divisée. Ce qui reste à être vu est de quelle manière la Cour suprême du Canada va évoluer dans la deuxième décennie du 21ième siècle.
Par Mario Michas