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Noyée dans la neige – La goutte d’encre Vanier Alumni 

Noyée dans la neige – La goutte d’encre

Je me dépêche à vivre. C’est cela qu’il faut selon ce que les adultes m’ont toujours dit. Le temps file. Je ne veux rien gaspiller. Je ne peux rien gaspiller.

Les secondes défilent. L’horloge rôde au-dessus de ma tête comme des nuages qui annoncent une tempête de janvier.

Je me hâte à étudier. Cela est nécessaire pour bien vivre selon mes enseignants. La connaissance libère. Je ne veux guère caresser mes chaînes. Je ne peux aucunement me permettre un moment pour respirer, si je veux conserver ma liberté.

Un. Je me mets à compter les flocons. Les chiffres me rassurent. Deux. Il n’aurait jamais deux cristaux quasi-glacés dont l’imitation sera parfaite. Nous sommes tous identiques dans le fait que nous sommes tous uniques. Zut, j’ai perdu compte. 234? Non 236. Oui, c’est bien cela, deux-cent-trente-six. Ma mère m’a toujours dit que les personnes éduquées écrivent leurs chiffres en mots.

Je me presse à bosser. Il faut de l’argent pour payer ses études selon la vie telle que je la connais. La richesse ouvre de très grandes portes sur le monde. À ce qui paraît, la vue est écœurante; cela doit être affreux de voir tous ces humains écrasés en bas de l’échelle du pouvoir. Je ne veux pas rester là, entassée. La vue d’ici, elle est assimilante. Éblouie par la société – euh, je veux dire, soleil – qui brûle depuis des années, je ne peux pas m’échapper de la propagande.

Quatorze-mille-quatre-cent-cinquante-neuf. Cela est ridicule de compter ainsi. Quatorze-mille-quatre-cent-soixante-deux. Cela est magnifique, la neige. Je pars dans ma tête. L’hiver, je me perds. Quatorze-mille-huit-cent-trois. Je commence à ressentir la froideur avec laquelle je suis en contact.

Je me grouille à gagner. C’est cela qu’il faut au travail selon mon patron. La réussite, le succès… je crois bien qu’ils ont réussi à m’enterrer. Vous savez, ce sont des poids lourds à supporter. Je ne veux guère me battre. Mais je ne peux pas perdre le combat hiérarchique.

Trente-sept-millions-six-cent-cinquante-mille-huit-cent-quarante-et-un. Dans un monde où le quotidien est abstrait, et où l’illusion est la vérité, je suis un soldat de la chronologie. Trente-sept-millions-neuf-cent-quatre-vignt-dix-neuf-mille-trois-cent-soixante-dix-sept. Je m’évade sous une montagne blanche. Trente-huit-millions-trois-cent-trente-huit-mille-cent-soixante-douze. Je me berce, seule sous l’énorme couverture qui enveloppe des millions de personnes. Trente-huit-millions-six-cent-quatre-vignt-huit-mille-quatre-cent-vignt-cinq.

J’abandonne la course. Il faut se soigner selon mon père. Il est nécessaire de suivre le fil, d’être un mouton dans un motton, mais de rester tout de même un individu, un loup dans les parages. Il n’a aucune solution. Il n’aura jamais de solution.

C’est à cause de cette folie trop présente et pourtant si inatteignable que je me suis noyée. Je me suis soustraite de ma vie pour me dissiper sous les flocons. Cinquante-cinq-millions-neuf-cent-dix-huit-mille-deux-cent-quarante-sept. Ma vie s’est soustraite de moi, ce qui me permet de m’évader. J’aurais toute l’éternité à me balader à travers la forêt de chiffres enneigés créée par mes pensées. Cinquante-six-millions… ah! Je ne sais plus… Je ne suis plus.

 

Écrit par: Katherine Willcocks (https://keyoui.wordpress.com/2014/02/24/noyee-dans-la-neige/)

 

About The Author
Katherine Willcocks Kat has been dabbling in the art of the written word since childhood, dipping her toes in the world of photography every now and then. As a Vanier alumnus who studied in Communications, she explores Spoken Word Poetry, and, of course, journalism.

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